Le festival de musique qui eut lieu à Woodstock en 1969 occupe une grande place dans l’imaginaire collectif de la société occidentale. Il incarne l’apogée du mouvement hippie, le plus grand rassemblement de l’époque, l’espoir d’un monde meilleur, d’un monde sans guerre, dont le maître slogan serait « peace and love ».
En l’occurrence, peu de gens savent ce que fut le festival de Wattstax, qui se déroula à Los Angeles, en 1972, et qui fut l’occasion d’une gigantesque commémoration des émeutes qui enflammèrent le ghetto noir de Watt en 1965 à Los Angeles. Le bilan fut sans appel : 5 jours d’émeutes, 34 morts, 35 millions de dollars de dégâts. La première grande émeute raciale aux États-Unis, prélude à des décennies de violences, la dernière en date ayant eu lieux en janvier 2009 à Oakland (Californie). Wattstax fut donc l’occasion pour les afro-américains de commémorer une décennie de lutte et un travail continue vers l’émancipation. Jesse Jackson anima l’évènement, savant mélange de prêches et de musique.
Wattstax accoucha d’un documentaire mémorable qui retranscrit toute l’effervescence de l’époque à travers un savant mélange d’interview d’habitant du quartier de Watt, un suivi du festival, ainsi qu’une bonne dose d’humour. Il en ressort qu’avant que le hip-hop ne deviennent une apologie du cynisme, du machisme, du narcissisme, de la brutalité, bref, toutes choses qu’aime la société marchande en tant qu’elles dépolitisent, sont récupérables, et font de la misère une posture bonne à fasciner les enfants du ghetto en leur faisant miroiter pour seule ascension sociale respectable la possibilité d’être un millionnaire du rap, la musique noire-américaine était partie prenante d’un vaste mouvement pour l’émancipation et l’accès à la dignité d’une communauté. En somme, Wattstax fut avant tout un mouvement politique en ce qu’il mobilisa des énergies en vue d’un objectif collectif visant à la transformation de la société.
Woodstock est quant à lui plus problématique. On cherche à politiser, voire gauchiser, le mouvement hippie, mouvement contestataire présenté comme un avatar moderne du combat socialiste. Or, on peut légitiment douter du fait qu’il fut autre chose qu’un mouvement dont la seule finalité fut d’offrir aux cadets des classes moyennes et de la bourgeoisie américaine un frisson révolutionnaire sans sortir des clous, sans prendre de risques, en somme, une aventure dont la seule finalité fut de faire entrer pleinement la société dans l’âge de la consommation.
En effet, le mouvement hippie ne peut être compris que comme une révolte de l’égo. La lutte contre les conventions héritées, le désir de jouir à tout prix, la drogue comme expérience ouvrant l’esprit sur d’autres réalités, tout ces thèmes font apparaître le désir solipsiste d’un monde qui ne soit qu’organisé autour d’un « je » souverain. Cette apologie de la vie comme expérience singulière conduit au narcissisme lequel rend impossible une communauté politique fondé sur l’amitié, à savoir l’intérêt et l’amour que l’on porte à autrui en tant qu’il est porteur d’une expérience singulière et qu’il nous permet de nous voir tel que nous sommes. Le narcisse est amoureux de son image, il se contemple tel qu’il se pense et se désir. L’ami est au contraire celui qui vous aide à vous voir tel que vous êtes réellement. L’amitié permet la communauté politique car elle appelle un dépassement de soi en ce qu’elle est le fondement d’un soucis d’autrui.
On peut objecter que le mouvement hippie fut aussi à l’origine d’expériences communautaires qui témoignent d’un dynamisme et d’une capacité à porter un projet politique. Malheureusement il faut bien constater qu’un grande partie des expériences de vie en communauté furent beaucoup plus proche de la secte du Mandarom que des expériences auto-gestionnaires du mouvement ouvrier. En témoigne Charles Manson et le fait que les communautés hippies étaient le plus souvent dans des fermes isolées, sans insertion dans la vie économique, les activités productives, et le plus souvent basées sur une mystique pseudo-orientale qui fit la joie de nombreux gourous en herbe.
Car ce fut bien l’essence même du mouvement hippie que d’être un mouvement coupé de toutes les luttes sociales de son temps, révolte d’enfants qui purent gouter au frisson de la rébellion grâce aux revenus de leurs parents. C’est en effet un grand tabou que celui de l’argent dans le mouvement hippie. Qui connait la société américaine sait qu’on peut difficilement posséder une voiture, voyager, vivre sans travailler, si l’on a déjà un certain capital. Hors l’expérience hippie se fonda en grande partie sur le nomadisme. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que les noirs, les latinos, et toute la classe ouvrière américaine ne fut pas partie prenante du mouvement. C’est cette dimension économique qui montre la réalité de ce que fut l’expérience hippie. Une révolte bourgeoise visant à préparer l’avènement d’un système basé sur le culte de l’individu et du désir, toutes choses dont la société marchande aurait besoin pour prospérer et régir tous les domaines de l’activité humaine. En réduisant la critique sociale à l’affirmation des désirs individuels, les hippies ont contribuer à produire cet homo narcissicus qu’avait indentifié Christopher Lasch, et par là même, porté un coup sérieux à la possibilité de transformer la société sérieusement, la politique réclamant une certaine capacité à l’abnégation, à l’humilité et surtout, la maturité nécéssaire pour accepter que ce qu’on poursuit n’adviendra probablement ni aujourd’hui ni demain et ne correspondra jamais totalement à ce que l’on désirait.